Je fais la queue à la caisse de mon supermarché préféré quand, devant moi, un couple commence à se papouiller. Je trouve cela tellement mignon d’exprimer son affection de la sorte… quand c’est à moi qu’on le fait. J’avoue, je trouve cela traumatisant de me retrouver confronté à ma solitude alors que je m’achète un pot de Nutella pour la compenser. Oui, je sais, je me comporte comme un CON célibataire frustré et aigri. Toutefois, je ne pense pas être le seul à m’affliger devant cet élan de tendresse ostentatoire. C’est un mélange de mépris (dû à une moralité qui se cache quelque part) et d’envie. Parce qu’à les voir, on ressent le besoin de crier : « Pourquoi eux et pas moi ? ».
Une idée m’est alors venue, entre deux œillades pour m’assurer que les personnes en face de moi reprenaient bien leur respiration : et si on séparait le monde en deux ? D’un côté on y mettrait les célibataires et de l’autre, les couples.
Comme ça nous, les personnes seules, n’aurions plus à subir cette mièvrerie qui donnerait la nausée à un Télétubbies et eux, les casés, n’auraient plus à nous jeter un regard plein de compassion en essayant de nous refourguer toutes les amies célibataires de leur entourage. C’est une règle quasi systématique que j’ai pu vérifier en de maintes occasions : les gens en couple aiment s’entourer de gens dans la même situation qu’eux et tentent désespérément de caser leurs amis célibataires. Ils doivent partir du principe que tout marche par paire, comme les chaussures. Alors je me dis que mon plan serait amusant. On ne serait plus là, à tenir la chandelle dans les soirées de couple en entendant la vieille question exaspérante : et toi, tu as quelqu’un dans ta vie ? (Je maudis sur dix générations le boulet qui s’évertue à sortir cette question à chaque fois qu’on le voit).
Ce serait comme au restaurant, à l’époque où on pouvait encore fumer à l’intérieur : « Vous désirez aller au coin fumeur ou non fumeur ? ». À chaque fois, il y avait des scissions dans les groupes, chacun se triturant les méninges entre ceux qui ne supportent pas la fumée, ceux qui vont être en manque et ceux qui veulent arrêter. Dans un monde de célibataires, on dirait « coin des casés ou des non-casés? ». Il y aurait des avantages certains : nous, les célibataires, n’aurions plus à subir l’éloge de Mathieu, deux ans et demi, qui ne pisse plus au lit ou à faire semblant de s’intéresser aux progrès de la petite Sandra à la GRS. On se retrouverait ainsi à débattre de sujets de fond comme « coucher ou non le premier soir » ou de l’ultime rebondissement de notre série télé préférée.
Au premier abord, un des avantages serait qu’entouré de célibataires, nous ne pourrions craquer que sur des gens qui se trouvent dans la même situation. Cela éviterait le désagrément d’offrir l’équivalent de trois mois de salaire en champagne à une personne pour s’entendre dire qu’elle va se marier le mois prochain ! Mais en même temps, je réalise que l’on ne peut pas garantir que des gens « casés » ne se feraient pas passer pour des « célibataires ». Il faudrait trouver un système de détection contre les faussaires, comme celui qui existe pour les faux billets.
Bon, du côté des personnes seules, il faudra quand même prévoir une grande quantité de glace au chocolat pour palier à toute phase dépressive. Après tout, nous ne sommes jamais vraiment à l’abri d’une déception.
Du côté des gens en couple, ils seront enfin débarrassés de ces amis dont ils disent que « s’ils sont seuls, c’est bien pour une raison ! ». Ils pourront se papouiller à leur guise, sombrer dans la mièvrerie et discuter des problèmes qui les touchent avec des personnes qui les comprennent vraiment. Parce que bon, on a toujours un ou une amie qui nous demande des conseils de couple, alors que l’on n’a jamais su garder qui que ce soit plus de trois semaines. L’inverse est valable aussi : on ressent toujours un malaise à parler de nos plans cul à une amie mariée depuis dix ans et qui a un enfant en bas âge.
Voilà à quoi servirait cette séparation : se préoccuper de questions et de problèmes qui nous concernent vraiment. Et surtout, SURTOUT, ne plus être inondé du bonheur des autres que l’on ne partage pas. Néanmoins, je pressens que les personnes seules feront des pieds et des mains pour franchir cette fameuse séparation. C’est un fait, on ne se contente jamais de ce que l’on a.
Alors bon, même si cela peut irriter à la longue de voir les gens se papouiller de manière intempestive (surtout quand on se sent seul), je relativise. Je me dis que moi aussi, dans quelques temps, j’affligerai un vieux CON célibataire endurci !
Ouais, je sais, j’ai des réflexions vachement profondes quand je fais la queue au supermarché.