« Bon, je l’avoue, oui j’ai couché. »
Pour m’armer afin d’affronter ce sujet délicat, je bois une grande gorgée de mon mojito.
« Vas-y, raconte ! », exultent mes trois amis à l’unisson, tellement excités qu’on dirait qu’ils frôlent l’apoplexie.
Sentant leurs regards braqués sur moi, je réalise ce que devait ressentir la vieille dans Titanic.
« Ça a été un concours de circonstances. J’ai rencontré cette personne au cours d’une soirée. Vous savez, ce genre de réception où il y a énormément de gens qui ne savent pas trop ce qu’ils font là. Bref, je m’ennuyais ferme quand j’ai croisé le regard de cette femme. J’ai fait une tentative d’approche tellement clichée que je me demande encore comment elle a pu fonctionner. Je lui ai offert un verre, nous avons discuté. Tout de suite, j’ai senti une étincelle. Je lui ai offert un autre verre, puis deux, puis trois… Nous avons commencé à flirter un peu, puis beaucoup. Elle m’a proposé de finir la soirée chez elle. J’ai accepté. Nous avons commencé à nous embrasser. Puis à nous déshabiller. Nous avons fait l’amour sur son canapé. Nous étions tellement excités que nous n’avons jamais réussi à atteindre sa chambre.
- C’était comment ?, me demande Mia, ma meilleure amie qui se nourrit exclusivement de ragots.
- Magique. Je n’avais jamais couché avec une personne plus âgée que moi auparavant. Je me sentais bien, à tel point que le lendemain matin je ne me suis pas enfui pendant qu’elle dormait. Nous avons bu un café ensemble, discuté encore un peu. Elle voulait me revoir, moi aussi. Elle m’a donné son numéro, je me suis habillé et je suis parti.
- Et alors ?, enchérit Mia, impatiente.
- Quelques jours sont passés. Je me suis retrouvé dans la salle d’attente de mon docteur. Je feuilletais des magazines quand soudain, en lisant une revue féminine archi-connue, je tombe sur l’édito de la rédactrice en chef accompagné d’une photo…
- Oh putain, c’est pas vrai, me coupe Carl, un ami que j’ai rencontré à l’université.
- Si, c’était elle, dis-je en prenant une gorgée de cocktail.
- Depuis le temps que tu essaies de refourguer tes textes à tous les magazines imaginables, au moins maintenant tu as une rédactrice en chef dans ta poche, ajoute Carl, surexcité.
- Les choses ne sont pas aussi simples que ça, lui dis-je. Premièrement, être publié parce que j’ai couché avec la directrice ne m’intéresse pas. Je veux être reconnu pour ma plume uniquement. Deuxièmement, je ne veux pas jouer avec cette personne. Elle m’intéresse et m’attire vraiment pour ce qu’elle est et non pas pour le job qu’elle fait. Je ne veux pas gâcher ce que l’on peut éventuellement construire en lui donnant l’impression que je veux me servir d’elle.
- Ouais, c’est tout à ton honneur, mais tu n’as pas fini de galérer », me dit Carl, ironique. Je précise que Carl est un artiste reconnu qui a de toute évidence dû (beaucoup) coucher pour en arriver là où il est. « J’ai passé tellement de temps à faire des plans cul qui au mieux, ne m’apportaient rien et au pire, me filaient des morpions. À 25 ans, j’ai décidé de prendre ma vie en mains : je baise utile ! » La perspicacité de Carl m’a toujours fasciné. « Marre de me taper des loosers inutiles. En ce moment, je fréquente un riche quarantenaire, propriétaire d’une villa au Cap- Ferret et qui m’emmène partout avec lui et m’achète tout ce que je veux.
- Oui, en gros, c’est TOI le looser inutile, conclue Marie, une amie proche qui est souvent la voix de la raison.
- Si tout le monde y trouve son compte, où est le mal ?, lui demande Mia.
- Je ne pense pas que l’on s’élève beaucoup en passant son temps à genoux, c’est tout, lui réplique Marie.
- Pourtant, des exemples de personnes qui ont réussi en couchant, tu en as plein !, dit Carl.
- Ah oui, lesquelles ?, demande Marie.
- Marilyn Monroe et Madonna, par exemple, répond Mia du tac au tac.
- Cela dépend de ce que l’on appelle réussir dans ce cas, s’empresse d’ajouter Marie. Entre l’une qui s’est suicidée et l’autre qui refuse de vieillir…
- Marie, tu n’as jamais été confrontée à ce genre de situation ?, me suis-je risqué à lui demander.
- Si, quand je faisais mes études d’Histoire de l’art. Il y avait ce prof, un vieux beau imbus de lui-même. Il organisait des soirées où il invitait ses étudiants… enfin, ses étudiantes surtout. J’y étais invitée à chaque fois mais je savais très bien ce que ce type attendait. Je ne sais pas combien de filles exactement ont fini dans son lit pendant le semestre, mais elles n’ont pas eu à se soucier de leur note.
- Et toi, combien as- tu eu ?, l’interroge Carl.
- 11/20, mais au moins je l’ai eu la tête haute !, répond Marie. Et puis, je me suis toujours débrouillée pour être la première de la promo sans avoir à coucher, jamais !
- Oui, je pense que tu es dans l’idée inverse, commence Carl en souriant. Tu ne cherches pas à coucher pour réussir mais à réussir pour coucher !
- Tu m’étonnes ! Si on passe des années à se battre pour se créer une situation c’est pour en profiter une fois au sommet ! », conclue Marie en rigolant.
En réfléchissant à ce qu’il vient de se dire, je me pose la question suivante : quel est le plus important entre la réussite et les moyens mis en oeuvre pour y arriver ? Car ce qui compte dans le fond, ce n’est pas la destination mais bien le chemin parcouru. Je décide donc de continuer à me battre pour réussir par mes propres moyens. C’est pourquoi je lance cette annonce :
Jeune auteur d’un blog sur les relations sentimentales cherche à devenir rédacteur freelance pour un (grand) magazine. Je peux écrire sur tout mais en particulier sur les relations sentimentales (mon domaine de prédilection, enfin j’espère) Ouvert aux propositions concernant le salaire. Je précise que JE NE COUCHE PAS POUR RÉUSSIR.